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Ingénieur, Designer, Entrepreneur ou Businessman ?

Les compétences pour la réussite d'une startup

March 7, 2021

Quelle est la différence entre un entrepreneur et un businessman ?

Beaucoup d'articles de blog et d'infographies ont été publiés sur le net sur cette question, et les trouvant tous mauvais, je vais apporter ma contribution à cette question qui anime le monde de l'entrepreneuriat depuis la nuit des temps, cad depuis le boom de l'internet. Ari-Borg

L'entrepreneur est quelqu'un qui veut apporter une solution à un problème dans la société. 

En cela, le fondateur d'une association à but non lucratif avec une mission* est un entrepreneur tout autant que celui ou celle qui entreprend à travers une entreprise lucrative. Cette dimension de vouloir résoudre un problème sociétal est donc cruciale pour qualifier ce qu'est un entrepreneur.

*Je précise "avec une mission" pour différencier de l'association qu'a fondé Jéjé pour organiser les tournois de pétanque dans le village. "Avec une mission" ou "à mission" signifie que l'organisme associatif a été crée pour résoudre un problème dans la société. Ex.: La Ligue contre le cancer, L'Association française contre les myopathies, France Alzheimer ... et bien d'autres associations à mission et avec des missions autres que la santé. 

L’échelle de mesure de la réussite d’un entrepreneur est le degré de résolution du problème sociétal qu'il a visé (=> https://www.episteme-entrepreneur.com/blog/value-proposition-pain-killer-vitamin-candy)

Alors qu'elle est la définition d'un businessman ?

Un businessman lui est quelqu'un qui va avoir l'œil affuté pour non seulement voir une opportunité là où d'autres n'y verraient rien, et surtout la saisir, la travailler pour la valoriser et in fine pour en tirer du profit.

L’échelle de mesure de la réussite d’un businessman est la quantité d'argent gagnée (ou plus poliment, l'accumulation de capitaux sous diverses formes).

Il y a des entrepreneurs qui ne sont pas des businessmans, et il y a des businessmans qui ne sont pas des entrepreneurs. Mais il arrive que ces deux qualités (et compétences) soient réunies chez une même personne, et là vous avez .... suspens .... suspens .... Elon Musk, ne lui en déplaise* !

*Quand une journaliste lui pose la question s'il se considère comme un businessman, Elon s'offusque et défend l'idée qu'il est un ingénieur. Il est bien sur les trois à la fois : un ingénieur, un entrepreneur et un businessman ! 

Maintenant, quelle est la différence entre un entrepreneur et un ingénieur ?

L'ingénieur est un professionnel (ingénieur de formation ou issu de la recherche scientifique) formé pour résoudre des problèmes "techniques" (et spécifiques). L'entrepreneur lui est quelqu'un qui veut résoudre un problème dans la société. L'entrepreneur peut vouloir résoudre ce problème avec une technique (ou trivialement de la technologie, même si le terme technologie ne doit pas être utilisé car la technologie est au sens strict, la science qui étudie les techniques, leurs conceptions et leur évolutions). Et vouloir résoudre un problème technique nécessite des compétences en ingénierie (que l'entrepreneur pourra avoir parce qu'il est ingénieur de formation ou parce qu'il s’est entouré d’ingénieurs).

Mais un entrepreneur peut vouloir résoudre un problème sociétal sans forcément faire appel à de la technologie (ou sans vouloir développer une technologie nouvelle), et il sera tout aussi entrepreneur que l'ingénieur-entrepreneur. 

C'est le résultat qui compte : la résolution du problème sociétal.

Un entrepreneur qui résout un problème sans développer une technologie ou sans utiliser une technologie de pointe, pourrait être qualifié comme étant un designer-entrepreneur.

[ Le design est une discipline qui permet de concevoir des produits (biens et/ou services), des lieux de vie, des expériences clients et utilisateurs avec la particularité de se concentrer sur le comportement individuel et social des clients, utilisateurs, usagers ou consommateurs. Tel un anthroplogue-ethnologue, le designer étudie et observe les clients-utilisateurs-usagers-consommateurs dans leurs quotidients, récolte leurs façons de faire (ou de ne pas faire) les choses, leurs frustrations, leurs difficultés à atteindre leurs objectifs - jobs to be done -, et imagine des solutions créatives pour résoudre le problème identifié. Le designer est un entrepreneur qui s'ignore. https://www.capital.fr/votre-carriere/pourquoi-les-designers-font-de-bons-entrepreneurs-1304091 ]

Le bon entrepreneur doit chercher la bonne solution pour résoudre le problème sociétal ciblé, si cette solution doit contenir de la tech alors ainsi soit il, si c'est par une autre voie, ainsi soit il.

Maintenant, c'est là qu'intervient la dimension businessman !

C'est pas tout que d'avoir identifié un problème sociétal et même créé une solution efficace (technologique ou pas) pour le résoudre ... le plus important c'est :

  1. Évaluer le problème pour juger de l'opportunité business qu'il représente (compétences économiques et financières - et je vous rassure, pas besoin d'être diplômé d'HEC ou d'Harvard Business School pour acquérir ces compétences !)
  2. Savoir comment sublimer la solution pour que ceux qui sont concernés par le problème soient prêts à sortir leur CB pour s'offrir la solution ! (compétences en marketing et en design d'expérience client)
  3. Savoir comment rendre amoureux les clients pour qu'ils reviennent chez vous! (compétences en branding, marketing et en design d'expérience client)

Ces points 1), 2) et 3) sont cruciaux ! Et si vous êtes attentifs, vous aurez remarqué que je n'ai même pas abordé la conception de la solution qui se situe entre le point 1) et 2). Non pas que ce ne soit pas important, mais son importance est bien moindre par rapport aux points 1, 2 et 3 sur la réussite d'un projet entrepreneurial.

La plupart des entrepreneurs se plantent car ils n'ont pas les qualités du businessman, et la plupart des businessmans (qui ont réussi) n'ont rien inventé, n'ont même résolu aucun problème sociétal (et parfois même, ils ont engendré des problèmes), mais ceux qui arrivent à être les deux à la fois, sont ceux qui brilleront dans le ciel à jamais : Thomas Edison (et pas Tesla), Bill Gates, Steve Jobs, James Dyson, Elon Musk … . 

Lorsqu'ils entendent cette affirmation : "un entrepreneur peut vouloir résoudre un problème sociétal sans forcément faire appel à de la technologie" … la plupart des scientifiques ou ingénieurs aspirant entrepreneurs réagissent en répondant : "mais comment résoudre un problème sans tech ?!!!"

Leur réaction est le fruit de leur formation, de leur conditionnement. Et il est fondamental que les scientifiques et ingénieurs qui aspirent à entreprendre, arrivent à abandonner leur mindset (et non leurs connaissances !) pour acquérir le mindset d'un entrepreneur (cad le mindset de quelqu'un pour qui résoudre le problème est plus important que le moyen de le résoudre, et dans leur cas avec de la technologie), ou mieux encore, le mindset d'un designer-entrepreneur, cad le mindset de quelqu'un pour qui la résolution du problème n'est pas suffisante, la solution doit permettre aux humains concernés de vivre mieux l'expérience de consommation ou utilisation avec le nouveau produit ou le lieu de vie. Cela peut sembler con de le dire, mais nombreuses sont les solutions amenées au marché avec une bonne intention au départ et qui ont généré plus de problèmes par des effets secondaires.

Le syndrome "Gollum et Son Précieux" (aussi nommé le Build Trap)

Beaucoup trop de scientifiques et ingénieurs entrepreneurs sont accrochés - telle une moule à son rochet - à leur solution tech merveilleuse que le marché (cad les clients) ne veut pas. Et ils ont tous cette réaction : "les gens sont trop bêtes, ils ne comprennent pas notre tech, ne comprennent pas mon génie."

Ne devenez pas ce cliché ! On dit d'un entrepreneur atteint de ce mal qu'il est "techno-centré sur son nombril".

Ceci dit, il n'y a pas que les scientifiques et ingénieurs entrepeneurs qui sont atteints par ce mal. Même les entrepreneurs non tech de formation peuvent être atteints par ce mal. Ils se prennent pour des visionnaires et sont obnubilés par LEUR IDEE GENIALE, LEUR PRODUIT sans jamais se soucier de leurs clients. Pareil, un tel entrepreneur sera affublé du label "produit-centré sur son nombril".

Ne tombez pas amoureux de votre idée, de votre techno, de votre produit. Tombez amoureux du problème. 

Cela se traduit par être capable de pitcher pendant 1h sur le problème que vous ciblez et les gens qui sont concernés, plutôt que de pitcher pendant 1h sur votre idée de produit avec votre business plan sur la comète ! 

C'est donc deux choses différentes ingénierie vs entrepreneuriat (vs business) ... et c'est d'autant plus piégeant pour les informaticiens programmeurs car leur terrain de jeu est un simple ordinateur et ils peuvent se laisser piéger par le mindset "constructeur de Lego" assez facilement. Alors qu'un ingé en mécanique ou même en électronique, pour chaque idée d'une nouvelle fonctionnalité, va peser le pour et le contre de façon plus poussée (car c'est couteux en ressources matérielles et immatérielles - temps, argent et connaissance nouvelle à acquérir éventuellement). Les programmeurs ont cette facilité à empiler les pièces de Lego, et ils ont une infinie de pièces de Lego à leur disposition ... et ils peuvent finir par builder un truc que personne ne comprend et/ou ne veut. Les autres corps d'ingénierie (électronique, optique, télécom, mécanique, chimie, biotech ...), en startup ou en grande entreprise peuvent aussi tomber dans le build trap (et les cimetières de produits sont remplis de produits "innovants").

Pour ne pas tomber dans le build trap, il n'y a pas de secret, pre-vendre avant de builder et/ou co-créer avec le client (un vrai client qui paie). Et un client, ça s'identifie par les 3 attributs clés :
- Il doit être conscient du problème. Il n'y a rien de pire que de consommer votre energie à évangéliser un client qui n'a pas conscience de son problème.
- Il doit être accessible à l'entrepreneur. Il n'y a rien de pire que de faire des business plans sur la comète où vous vous projetez à vendre au Roi d'Angleterre ou avec des modèles B2B2G2B2U. Ciblez des gens qui vous sont proches, à qui vous pouvez parler le même langage.
- Il doit être solvable. Il n'y a rien de pire que de developper une solution pour des gens qui n'ont pas l'argent pour vous l'acheter.

Maintenant quelques exemples de problèmes (avec une forte dimension opportunité business) que des designers-entrepreneurs-businessmans ont résolu sans la moindre technologie.

Starbucks => Problème : dans les grandes villes, les employés du tertiaire aimeraient trouver un endroit après le travail pour se détendre tout en travaillant. Un endroit qui ne soit ni le bureau ni la maison. Solution : Starbucks : café hype + Wifi offert (niveau tech c'est à peu près 0)

Airbnb => Problème : quand il y a des conférences tech dans la Silicon Valley, tous les hôtels sont blindés. Solution : permettre aux locataires d'appartement de SF (où les loyers sont très élevés) de gagner de l’argent en sous louant un matelas gonflable dans leur salon avec un petit déj offert aux conférenciers à la ramasse. => Airbnb (niveau tech c'est à peu près 0).

Uber (des débuts parce que maintenant y'a de l'IA) => Problème : taxis indisponibles, malpolis, malhonnêtes => Solution : mais pourquoi avec toutes ces voitures qui roulent à vide, n'importe laquelle de ces voitures ne pourrait pas nous récupérer là maintenant et nous déposer où on veut à n'importe quelle heure contre de l'argent ?!!! => Jackpot

Allez un dernier exemple pour la route.

Domino's Pizza => Problème : les soirs de match, pas moyen de se faire livrer, toutes les pizzerias sont saturées. Solution : à n'importe quelle heure et jour de la semaine, une pizza fraîche (cad préparée à la commande) livrée en 30 min sinon c'est gratuit. .... Domino's n'a pas promis que sa pizza serait bonne, juste qu'elle serait fraîche et livrée en 30 min ! Et promesse tenue ! => technologie = zéro (hormis une organisation du travail façon fast-food McDo) et des livreurs à moto. => jackpot !

Un article en complément que je vous recommande, écrit par Philippe Silberzahn, ingénieur en informatique, entrepreneur dans l'IA puis docteur en management et professeur à emlyon business school. Il est spécialiste de la stratégie, de l'entrepreneuriat et de l'innovation : 

La curieuse présomption de l’entrepreneuriat « à impact »

 

Bonus : comment identifier un bon problème pour sa startup

Note de lecture (en Français)

The Right It - Why So Many Ideas Fail and How to Make Sure Yours Succeed

Alberto Savoia